Les erreurs judiciaires
L'individu en péril


Après l'assemblée générale à Tournon, un homme au visage jovial court à son deuxième rendez-vous. Il arrive légèrement en retard, très attendu par nombre d'auditeurs venus pour lui ce soir-là. Il s'agit de l'avocat Dominique Chambon, invité par la Vanaude pour parler des erreurs judiciaires. Il remercie chaleureusement l'association pour laquelle il a de l'admiration.

" L'erreur judiciaire, commence-t-il, n'est pas la même chose que les dysfonctionnements judiciaires. (…) La procédure de révision consiste à démontrer que des éléments nouveaux n'ont pas été portés à la connaissance de la cour d'assise lors de sa décision. Si elle aboutit, nous sommes en présence d'erreur judiciaire. On peut donc dire qu'une personne a été victime d'une erreur judiciaire. (…) J'ai rencontré un personnage qui s'appelle Roland Agret (…) il a fait sept ans et demi de détention pour un crime qu'il n'avait pas commis. Il s'est coupé deux doigts, tiré une balle dans le pied, a avalé des fourchettes, a fait la grève de la faim, il ne pesait plus que 40 kg… finalement il a été gracié, est sorti de prison. Mais il ne voulait pas être gracié, il voulait prouver qu'il était innocent. Il a entrepris une procédure de révision qui a tout d'abord été rejetée. Dans un deuxième temps, elle a été acceptée. Les gens qui l'avaient accusé s'étaient rétractés. Ils ont été traduits pour faux témoignage. Il y avait donc un élément nouveau. Roland Agret a fait appel pour être indemnisé. La machine judiciaire n'imaginait pas qu'un révisé pouvait être vivant. Être victime de la détention provisoire, c'était prévu, mais il n'était pas prévu qu'on pouvait être détenu et innocent ! En 1987, il reçoit la bagatelle de 250 000 francs d'indemnisation pour ces années de prison. On le rejuge et on l'acquitte."
Maître Chambon, attentivement écouté, reprend : " Roland Agret. C'est le pape de l'erreur judiciaire que j'ai rencontré en 2004. Il a épuisé pas moins de 42 avocats. Il sort de prison en 1977. Il reçoit 250 000 francs d'indemnisation pour la détention provisoire qu'il a subie. Mais pour la détention définitive, il ne reçoit rien. "
" Patrick Dils était un autre cas unique. Après avoir apporté des éléments nouveaux au dossier, il obtient une procédure de révision, on l'envoie devant une deuxième cour d'assise qui le condamne une deuxième fois. Un texte de loi sort à ce moment-là et il peut faire appel aux assises. Il est acquitté. Il aura fait 10 ans de prison. Lui et Agret sont les deux seuls cas de révisés vivants."
Patrick Dils recevra un chèque d'un million d'euros par l'état français. Roland Agret, cas imprévu avant 2000, parviendra finalement à toucher une retraite décente.
Dominique Chambon s'occupe de plus en plus de cas d'erreurs judiciaires. Il se dit critique à l'égard de sa profession. Pour lui, les médias peuvent être nécessaires. Il compte saisir la cour européenne des droits de l'homme au sujet de l'erreur judiciaire qui est un vrai problème. "La famille d'un garçon qui a sept frères et sœurs s'est endettée pour payer son avocat. La justice refuse de considérer que les honoraires d'avocats sont en lien direct avec son incarcération ! On refuse de prendre en compte l'endettement de la famille. On dit que les frais de contre-enquête n'existent pas." Pourtant un article stipule qu'on a droit à un procès équitable. La télé a sali son nom en le proclamant meurtrier à tort. Le reste de la famille n'a pas le droit d'être indemnisé. "On me dit que la famille devrait faire un procès en diffamation aux médias, mais quand on sait qu'on n'a que quatre mois pour le faire et qu'une procédure d'appel peut mettre des années à aboutir vers l'acquittement… "
Pour l'avocat, les choses sont claires : "Quand on cause un dommage, on le répare. (…) l'état a décidé par ses textes et autres que ses préjudices ne seraient pas indemnisés ! Il y aurait une petite ouverture prévue par un amendement pour les enfants."
Le cas de Dany Leprince est aussi intéressant : "Condamné par la cour d'assise à perpétuité avant de pouvoir faire appel, il est reconnu coupable du meurtre de son frère, sa belle-sœur et deux de ses nièces. Pourtant, on ne trouve aucune trace ADN ni palmaire de l'accusé. Par contre, on s'aperçoit que des traces d'ADN n'ont pas été éludées. Un témoin dit : " je l'ai vu faire " c'est sa femme. Au bout de 47h (sur 48) de garde à vue, il avoue. Mais les preuves manquent."
"En Angleterre, le jury délibère et revient. En France, c'était pareil jusqu'à Pétain. Depuis, il ne délibère plus seul. Les membres du jury sont escortés par deux magistrats professionnels. C'est-à-dire que selon le jeu de claquette de l'avocat ou d'un autre, on va rester sur une impression. On n'a pas de copie du dossier quand on est juré en procès d'assise. On vous pose la question : " Avez-vous une intime conviction ? " C'est inadmissible, il s'agit totalement de spectacle, une conviction, ce n'est pas suffisant. Dans le dossier Leprince, il n'y a pas une preuve scientifique de sa culpabilité."
Pour ce genre d'affaires, on fait parfois appel aux médias : " Si l'appareil médiatique ne fonctionne pas, c'est cuit. Parfois, des journalistes viennent étudier un dossier pendant quatre ou cinq jours. C'est légal car l'instruction est finie."
"Quand quelqu'un est en garde-à-vue, un avocat est appelé pour aller faire le guignol au commissariat sans avoir accès au dossier. Mais quand l'avocat fait son boulot, dit quoi vérifier au juge d'instruction etc., le juge d'instruction fait ce qu'il veut et peut refuser concrètement ! Il faut qu'il y ait des réformes. Le juge d'instruction, Napoléon a dit que c'était l'homme le plus puissant de France, doit devenir un juge de l'instruction et de l'urgence pénale. Pourquoi n'y aurait-il pas de juge de l'urgence pénale ? Il y a un problème au niveau de la police aussi : Si on veut porter plainte, les policiers préfèrent parfois écrire dans la main courante ", cela n'a pas la même portée juridique.
"Il ne faut pas que la délinquance monte trop vite, et la main courante n'entre pas dans les statistiques, c'est pratique. C'est inquiétant. Le système est vraiment en cause. Un dossier est instruit avec la puissance de la mécanique d'état et si la personne est innocente, elle se fait broyer, la lutte est très dure. Avec l'appel, on débouche sur des pratiques non prévues dans le code, comme la contre-enquête."
Et Dominique Chambon conclut : "De mon point de vue aujourd'hui, notre société a tendance à laminer la liberté individuelle, on risque de le payer très cher. " D'après lui, le fait que les individus soient fichés joue contre eux aussi. " Il y a un véritable danger au niveau du droit individuel. Avec les micros, les puces, les code barres, on a la traçabilité des objets et demain on aura celle des individus. S'il y a un système à rééquilibrer c'est celui-là. Aujourd'hui la police peut mettre quelqu'un en garde-à-vue 24h puis dire " pardon, j'me suis trompé ". Les lieux ne sont pas non plus corrects pour recevoir des gens. Il ne faut pas avoir le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Aujourd'hui, on a une justice pénale qui dysfonctionne."

Astrid Acevedo
pour Le Réveil du Vivarais

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